François Picard

Le 01 jui 2021

Entendre les voix : fugues

Dernière mise à jour: 11 nov 2021



Connaissez-vous Stefani Germanotta ? Voici le tout début du clip « officiel » d’une de ses chansons, « Bad Romance » :

Mais oui, vous l’avez reconnue ! C’est la célèbre lady Gaga ! Mais quel est donc ce court morceau interprété sur un synthétiseur de pacotille (encore pire que le mien) rappelant de (très) loin le son du clavecin ?

Ce sont les premières mesures de la fugue en si mineur (n° 24) du premier livre du Clavier bien tempéré de Bach :






Le message est clair : on bazarde la vieille musique et on fait maintenant un truc jeune.

Vous voulez en savoir plus, je le sens : c’est quoi, le truc jeune en question ?

D’accord, mais pas plus d’une minute (il ne faut pas abuser des bonnes choses) :

Pour être tout à fait honnête, vous trouverez sur internet, à côté de versions tout aussi déjantées que ce clip, une belle interprétation beaucoup plus classique de cette chanson (cherchez « Bad Romance - Lady Gaga acoustic live at Rainbow Room »).


Mais revenons à notre mouton : la fugue. Il était question dans l’article précédent de fantaisies, et d’entendre les voix. Une autre grande forme polyphonique où toutes les voix sont à égalité, est en effet la fugue. Ici, le thème, sauf exception, n’est pas connu à l’avance. C’est le compositeur qui le propose à l’une des voix : ce thème s’appelle le « sujet » de la fugue.

Une fois que le sujet a été exposé, il est repris par une autre voix, puis va se promener un peu partout. Voici cette promenade dans le début d’une fugue de Haendel, extraite de sa Suite pour clavecin en fa mineur (1720).






Entendu comme cela, c’est assez répétitif ; mais comme dans la fantaisie, c’est le jeu des voix qui est intéressant, pas le sujet en lui-même, qui est ici vraiment très court et ne constitue même pas une mélodie. Écoutons cette fugue dans sa version originale :






Dans une fugue, quand la première voix a exposé le sujet, celui-ci est repris en réponse par une seconde voix, pendant que la précédente énonce le « contre-sujet ». Sujet et contre-sujet vont alors être répétés et se croiser dans toutes les voix.

Je prendrai comme exemple une œuvre de J. S. Bach, la fugue pour orgue en sol mineur BWV 578. On remarquera que le sujet est ici beaucoup plus long que dans l’exemple précédent.

Voici donc le sujet :





le contre-sujet :





Le sujet et l’entrée de la deuxième voix (sujet et contre-sujet ensemble) :





Entre deux expositions du sujet, le compositeur peut intercaler un passage plus léger, appelé « divertissement ». Le premier divertissement de cette fugue :





A vous de jouer, si je puis dire, en écoutant la version originale de cette œuvre. Essayez de repérer les entrées du sujet aux différentes voix, l’alliance avec le contre-sujet, l’arrivée des divertissements… Voir l’organiste en action peut certainement vous aider, par exemple quand il joue le thème au pédalier.

Du fait des nombreuses contraintes formelles qui régissent la construction d’une fugue, (et dont je vous fais grâce, n’étant pas certain de bien toutes les connaître moi-même), ce genre musical est parfois considéré comme un exercice intellectuel austère, réservé à une petite élite de connaisseurs (ou de snobs faisant semblant…).

Je maintiens pourtant qu’on peut vraiment se régaler en écoutant une bonne fugue. Pour ma part, j’aime bien celles qui ont un caractère rythmique bien marqué, qui font swinguer les neurones. Voici une de mes préférées, une fugue pour orgue de J. S. Bach sur un thème de Legrenzi (BWV 574), qui a la particularité d’avoir deux sujets. Il y a quatre parties dans cette œuvre : fugue sur le sujet 1, fugue sur le sujet 2, fugue sur les deux sujets simultanés, et pour finir une petite fantaisie virtuose un peu décousue, comme un feu d’artifice final.

Voici donc la promenade des sujets : sujet 1, sujet 2, et les deux ensemble. On pourra noter que la voix de basse est parfois simplifiée, car elle doit être jouée au pédalier, qui ne permet pas la même agilité que le clavier manuel :






Pour info, le début d’une version à l’orgue qui ne me plaît pas : c’est encore le Bach solennel, sérieux et compassé ! Aucune énergie dans cette interprétation :

Vous pouvez écouter maintenant cette fugue complète en deux versions : une version « synthétique », qui permet de bien entendre les différentes voix, et une version instrumentale. Choisissez l’une ou l’autre, ou les deux.

Comme précédemment, essayez de repérer les sujets, les différentes sections, les divertissements…






Pour terminer, je vous propose une autre fugue sympathique (en tout cas de mon point de vue) et assez dynamique, à trois voix. Voici le début : les deux premières expositions du sujet (voix 2, puis voix 1) avec le contre-sujet, puis un divertissement qui précède l’entrée du sujet à la basse (voix 3). Dans cette fugue, le compositeur s’amuse à insérer le sujet dans une forme mélodiquement inversée. Je vous fais ensuite écouter un rappel du sujet, puis la forme inversée.






Ce sujet de fugue ne vous rappelle rien ? Vraiment ?







Sur le thème initial de « Bad Romance », le musicien italien Giovanni Detorri a effectivement composé cette « Lady Gaga Fugue » dans un style très classique :

Elle a connu un certain succès et vous en trouverez plusieurs versions, avec des instrumentations diverses. J’aime bien celle-ci, un père et sa fille au piano dans un concert public; pas parfait, mais une belle complicité :


                                                                                                                               (à suivre)




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